PUBLIÉ LE JEUDI 21 AVRIL 2016
EXCLUSIF – Tout indique que le ministre de l’Environnement David Heurtel a l’intention d’autoriser un projet résidentiel dans le boisé des Hirondelles, à Saint-Bruno-de-Montarville, une forêt qui renferme des plantes menacées d’extinction et protégées par la loi. Radio-Canada a appris qu’un plan de développement a été élaboré par Québec avec le promoteur. Il est notamment envisagé de déplacer des plantes rares à l’extérieur du terrain. Une mesure controversée.


Mme Alarie pensait pourtant pouvoir compter sur le soutien du ministre. Dans un document officiel daté du 6 juillet 2015 adressé au promoteur et à la Ville, David Heurtel écrivait que « l’intervention projetée risque de sévèrement dégrader le milieu naturel » qui renferme « une caractéristique rare et d’intérêt exceptionnel ».
Ça démontre qu’aujourd’hui au Québec, le lobby d’un promoteur immobilier est plus fort que huit millions de Québécois qui se sont donnés collectivement des lois pour protéger leur biodiversité.
Invité à expliquer sa démarche, le cabinet du ministre n’a pas infirmé nos informations. L’attaché de presse de David Heurtel, Mylène Gaudreau, a simplement indiqué que « l’analyse du dossier par le ministère est toujours en cours ».
Le boisé des Hirondelles est situé à la limite du parc du mont Saint-Bruno. Il s’agit d’une érablière à sucre à chêne rouge mature et riche, un milieu « de plus en plus rare au Québec », a déjà déclaré le ministre de l’Environnement. La conseillère Alarie, comme l’équipe au pouvoir à Saint-Bruno, juge que cette forêt mérite d’être protégée, « [elle] a tout ce qu’il faut pour l’être. Si on n’est pas capable, on peut oublier les autres ».
Selon nos informations, le ministère a l’intention de conditionner son autorisation au respect de neuf ajustements établis avec le promoteur. Ce dernier n’a pas voulu détailler ces éléments « confidentiels ». Nous savons cependant qu’il s’est engagé à conserver 60 % du couvert forestier, à créer des zones tampons, à clôturer certains secteurs et à transplanter au moins une partie des plants de ginseng à cinq folioles vers l’extérieur du terrain, sur le mont Saint-Bruno. Une idée qui fait sourciller les spécialistes.

Le terrain boisé, zoné constructible, est grand comme neuf terrains de football [six hectares]. Il est la propriété du sénateur libéral Paul Massicotte. Il a acquis ce terrain pour 1,9 million de dollars, en 2006. Cinq ans plus tard, il s’est entendu avec la Ville de Saint-Bruno, sous l’administration du maire précédent, pour obtenir le droit de réaliser des travaux d’aqueduc et de voirie. Mais il fallait au préalable que Québec donne son accord.
Il n’a pas été possible de parler au sénateur Massicotte, mais plutôt à son représentant, l’urbaniste Bruno Bergeron qui a dessiné le projet. « Avec les fonctionnaires du ministère, on a fait un bon travail, dit-il. Les conditions qu’on s’était imposées étaient déjà supérieures à ce que le ministère a déjà exigé dans plusieurs autres dossiers, donc on estime qu’on va même au-delà des exigences du ministère. »
Le coeur du problème : une plante en voie de disparition

Il ne reste plus que 50 populations viables de ginseng à cinq folioles au Québec. À la lecture de l’analyse déjà réalisée par le ministère, il est inconcevable de laisser la plante au milieu d’un quartier résidentiel. Le simple fait de réduire le nombre d’arbres ajouterait des menaces comme la lumière ou le vent. Le drainage du sol et le seul rapprochement des humains pourraient aussi causer sa perte.
« Si on avait su que cette plante-là existait [sur le terrain à bâtir], on aurait modulé le projet pour faire en sorte qu’on ne la détruise pas, explique Bruno Bergeron, l’urbaniste. Aujourd’hui, il n’est absolument pas dans notre intention de la détruire ou la menacer. »
« C’est sûr qu’en conservation ce n’est pas une mesure qui est préconisée », indique d’emblée la biologiste Andrée Nault. La conseillère scientifique au Biodôme ajoute : « Quand on veut protéger une plante, on protège non seulement la plante, mais son habitat aussi. »
C’est davantage une action de sauvetage que vraiment une action de conservation, parce que c’est risqué.
Saint-Bruno tente le tout pour le tout

Les élus municipaux ont adopté cette semaine une proposition de nouveau règlement pour tenter de barrer la route au promoteur. Qualifié « d’avant-gardiste » par le parti au pouvoir, il modifiera les règles d’urbanisme de la Ville afin d’éviter, entre autres, « toute intervention dans un habitat essentiel d’une espèce en péril ».
Menaces de poursuites
La société Sommet Prestige inc. se dit prête à traîner en justice quiconque l’empêchera de développer son projet. Dans une lettre de son cabinet d’avocat obtenue par Radio-Canada, la compagnie fait savoir que l’interdiction de « tout développement résidentiel, constituerait une expropriation déguisée et causerait à notre client un préjudice important ».
Le promoteur veut que la nouvelle administration municipale respecte l’entente qu’il a signée avec l’administration précédente. « Il y a eu un contrat de signé avec la Ville, tous les plans et devis sont complétés », rappelle le porte-parole du sénateur, Bruno Bergeron.
Un nouveau conseil municipal doit tenir compte des décisions passées. À partir du moment où il y a des engagements qui ont été pris, on estime qu’ils doivent être respectés.
« Il faut cesser d’avoir peur [d’éventuelles poursuites], clame Marilou Alarie. Ce n’est pas parce que vous êtes propriétaire d’un terrain qui est zoné résidentiel que vous pouvez faire ce que vous voulez. »
Quant à l’éventualité pour la Ville de racheter le terrain à sa valeur actuelle, comme l’ont fait d’autres villes pour protéger le corridor forestier, elle répond : « Pourquoi on l’achèterait? Pourquoi on ne le met pas face à ses responsabilités? »
Des millions de dollars en jeu
La chef de l’opposition à Saint-Bruno, Thérèse Hudon, s’inquiète de la « capacité de payer des citoyens ». Selon elle, le nouveau règlement de la Ville, inventé dans l’urgence, ouvre la porte à des contestations judiciaires assez longues et coûteuses pour établir une jurisprudence. Elle fait l’hypothèse d’une éventuelle poursuite de 20 millions de dollars.
L’opposition, qui avait approuvé le projet domiciliaire quand elle était au pouvoir, estime que ce boisé n’a « pas de valeur rare ou exceptionnelle ». Elle en veut la preuve que le gouvernement du Québec ne l’a pas inclus à l’époque dans le parc protégé du mont Saint-Bruno.